Muhammad Yunus et les SES
Muhammad Yunus ! Par un fait inattendu, il revient sur le devant de la scène, nommé par le président bangladais pour former le nouveau gouvernement après la fuite précipitée en hélicoptère de la première ministre Sheik Hasina. Muhammad Yunus ! Cela fait presque trente ans qu’il illustre mes cours de SES, et notamment mon chapitre de première sur le financement de l’économie. Ce créateur de la Banque des pauvres m’a permis d’illustrer, à maintes reprises et devant des centaines d’élèves, le rôle magique du crédit et des institutions bancaires lorsqu’elles se mettent au service de l’ensemble des citoyens et notamment des plus pauvres.
Un documentaire sur la Grameen Bank
Depuis que j’enseigne les SES, depuis de fort longues années maintenant, il existe un chapitre classique en première consacré au financement de l’économie. Il y est question de financement interne et externe, de taux d’intérêt et aussi de taux d’épargne et de taux d’investissement. Pour donner du sens à un chapitre qui pourrait devenir trop technique. J’ai pendant des années convoqué une vidéo consacrée à la Banque des pauvres, la Grameen Bank. Ce documentaire exceptionnel de 46 minutes a été produit par le producteur néerlandais indépendant Mark Aardenburg. Il nous raconte comment la volonté de Muhammad Yunus a permis de sortir de la pauvreté des millions de personnes.
Les fondements de la Banque des pauvres
Le projet a pris forme tout d’abord dans le village de Jobra, village voisin de l’université de Chittagong où il enseigne. Par la suite, il s’est développé dans de nombreuses communautés rurales et pauvres du Bangladesh. Le principe est simple et terriblement efficace. Des représentants de la Banque des pauvres sillonnent les lieux les plus reculés du pays pour y proposer des crédits aux pauvres qui n’ont pas suffisamment d’argent pour démarrer une micro-entreprise. Faire des paniers en osier pour les vendre au marché, acheter une vache pour faire du fromage, développer un service de restauration… Comme le dit Yunus, les pauvres ont souvent beaucoup de ressources et ont la motivation pour s’en sortir. Il ne leur manque que quelques dollars pour réaliser leur projet. Quelques principes simples ont permis le succès. Les prêts sont accordés quasi exclusivement aux femmes pauvres. Elles sont les plus pauvres parmi les pauvres. Elles doivent prouver qu’elles souhaitent investir et non consommer avec l’argent prêté. Chaque personne à qui est accordé le prêt doit s’entourer de 4 personnes qui devront l’aider à rembourser le prêt au cas où l’affaire ne fonctionne pas. Cela permet de responsabiliser la personne porteuse du projet.
L’espoir éclate au soleil.
La Grameen Bank a alors participé à l’augmentation du pouvoir d’achat des plus pauvres. Ils ont alors acquis plus d’autonomie en s’éloignant notamment des usuriers reconnus dans les villages qui se permettaient sans concurrence de proposer des prêts à des taux scandaleux qui esclavisaient le pauvre et toute la famille en même temps, et cela parfois sur plusieurs générations. Le succès est tel que 12 ans après le premier micro-crédit accordé, en 1989, l’institution se développe dans d’autres pays. Et la lune de miel continue. L’ONU déclare 2005 l’année officielle du microcrédit. Je n’ai jamais trouvé de meilleurs exemples à proposer aux élèves pour montrer les bienfaits des banques. Elles donnent la possibilité à des personnes qui n’en avaient pas les moyens d’investir. Se faisant, les banques, au service des citoyens, remettent en cause l’ordre établi, puisque des personnes innovantes, mais sans capital économique, peuvent alors concurrencer les classes favorisées. De plus, en accordant les crédits en très grande majorité aux femmes, cela permet l’émancipation dans des sociétés où la domination masculine est prégnante. C’est le paradigme de l’empowerment approfondi par Valérie Gilbert dans cet article proposé par l’UQAM au Canada.
La transformation sociale et culturelle
En réalité, les quelques heures que je consacrais à Muhammad Yunus et à la Grameen Bank débordaient bien plus le chapitre sur le financement de l’économie. Une foule d’exemples, repris par exemple dans Vers un monde sans pauvreté écrit par Yunus en 2007, permettaient de montrer qu’au-delà de la richesse produite grâce à la première étincelle, l’accord pour un microcrédit, un mécanisme de développement se mettait progressivement en place. Les femmes, dont l’affaire prospérait, pouvaient alors quitter le village, pour la première fois parfois, pour se rendre au siège de la Grameen Bank en vue de nouveaux projets. Les rapports homme-femme se modifiaient et le pouvoir des potentats locaux était remis en cause. Autrement dit, la richesse économique des plus pauvres permettait une transformation sociale et culturelle de la société. Une illustration parfaite du processus de développement de la société.
La suite dans les pays développés
Muhammad Yunnus est devenu prix Nobel en 2006. Son projet initial avait alors largement débordé les pays peu développés. Aux États-Unis, en France et dans beaucoup de pays développés, des banques prennent en charge la question du microcrédit. Elles proposent alors à des personnes qui n’avaient pas accès au crédit traditionnel de monter des projets. Des jeunes sans expériences, des immigrés sans moyen financier ont alors pu s’émanciper. Financer un véhicule permettant de se déplacer pour travailler, fonder une société qui valorise les biodéchets… Des centaines de projets ont alors pu éclore grâce à différents partenariats épaulés bien souvent par des structures publiques. Muhammad Yunus est membre des Elders, l’association fondée par Nelson Mandela pour promouvoir la parole d’anciens leaders qui peuvent agir pour la paix et le développement.
Une analyse critique du modèle
Bien sûr, lorsque dans mes cours nous évoquions le microcrédit, il s’agissait également de garder une analyse critique. En effet, le fondement du modèle est libéral. Il s’agit de rechercher le profit en développant des projets individuels. Mais le développement d’un pays nécessite aussi des institutions formelles solides et une politique économique adaptée, sans lesquelles tous les efforts individuels ne peuvent pas perdurer. Je me permettai alors de dire aux élèves de première que toutes ces idées seront développées dans le premier chapitre de terminale, l’année suivante. Je montrais les perspectives et construisais des ponts entre le programme de première et terminale.
Le futur du Bangladesh a 84 ans.
Maintenant, Muhammad Yunus, malgré ton âge avancé, tu as accepté une nouvelle mission pour relancer l’économie du Bangladesh. Espérons que ta sagesse permettra, comme a su le faire Mandela, de sortir le pays de son ornière en permettant à des millions de pauvres de profiter d’une politique économique adaptée à leur situation.
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Écrit le 9 août 2024 par Philippe Herry
Les références de l’article
- Vidéo (maintenant proposée par Dalymotion) Une banque pour les pauvres https ://www.dailymotion.com/video/xdwtxz
- Muhammad Yunus sur Wikipedia https ://fr.wikipedia.org/wiki/Muhammad Yunus
- L’étude de Valérie Gilbert https ://ceim.uqam.ca/db/IMG/pdf/Collection memoire VGilbert.pdf
- Le microcrédit en France https ://www.banque-france.fr/fr/a-votre-service/particuliers/connaitre-pratiques-bancaires-assurance/crédit/microcrédit
- des illustrations de projets microcrédits https ://www.initiative-france.fr/components/com_main/documents/communiqué_initiative-france_activités en hausse de 12 %.pdf