Et de cinq ! Depuis Gerard Debreu en 1983 puis Maurice Allais en 1988, les prix Nobel d’économie français se suivent. En 2014, le prix est attribué à l’économiste français Jean Tirole, fondateur de la Toulouse School of Economics (TSE). En 2019, cela sera le tour d’Esther Duflo qui, avec son mari Abhijit Banerjee, travaille depuis des années sur les évaluations économiques des projets de développement. Ce lundi 13 octobre 2025, Philippe Aghion, chercheur français qui a longtemps travaillé aux États-Unis et dans différents organismes internationaux, est nommé prix Nobel d’économie avec le Canadien Peter Howitt ainsi que l’Israélo-Américain Joel Mokyr. Ce qui est particulièrement intéressant pour nous, professeurs de SES, c’est que ce prix vient récompenser un modèle de croissance endogène basé sur l’innovation. Or c’est un des points du programme que nous abordons avec les élèves dans le chapitre 1 consacré aux Sources et défis de la croissance économique. De quoi s’agit-il ? Comment Philippe Aghion et Peter Howitt ont-ils éclairé d’un jour nouveau le phénomène de croissance économique ? C’est ce que nous nous proposons de voir dans cet article.
À partir des années cinquante, le modèle de Solow enseigné dans les universités d’économie montre que la croissance dépend de trois facteurs clés, le facteur travail, le facteur capital et surtout le progrès technique. Dans la tradition néoclassique, l’économiste américain Robert Solow (1924-2023) reprend l’idée qu’il existe deux facteurs importants pour produire, le facteur travail lié notamment à la croissance démographique et le facteur capital. Du fait des rendements décroissants, à terme les économies devraient selon ce modèle tendre vers un état stationnaire. Or il n’en est rien. Solow attribue ce ‘miracle’ économique au progrès technique qui repousse constamment les limites économiques de la croissance. C’est une avancée majeure pour comprendre les déterminants de la croissance économique. Pour autant, Robert Solow n’explique pas d’où provient ce progrès technique. Il s’agit d’un modèle de croissance exogène où le progrès technique est considéré comme une ‘manne tombée du ciel’.
Plusieurs économistes, comme les Américains Robert Lucas, prix Nobel d’économie 1995, ou Paul Romer, prix Nobel d’économie 2018, montrent que ce progrès technique résulte en réalité des efforts effectués par les acteurs économiques. En montrant cela, ils sont à l’origine des modèles de croissance endogène. C’est dans ce contexte que Philippe Aghion propose dès 1987 avec Peter Howitt une première théorie de la croissance endogène centrée sur l’innovation et la destruction créatrice. Ce faisant, ils s’inscrivent dans le courant néo-schumpeterien qui approfondit les travaux pionniers de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). Cet économiste est devenu célèbre pour ses travaux sur le rôle fondamental de l’innovation, moteur de la croissance et dans le même temps créateur de destruction créatrice. L’innovation selon Schumpeter est multiple. Il s’agit de l’innovation de produit, de procédés, d’organisation du travail mais encore de nouvelles matières premières ou encore de nouveaux marchés. Ainsi l’entrepreneur, véritable capitaine d’entreprise capable de créer et d’impulser une dynamique d’innovation, est au cœur de cette croissance économique. Joseph Schumpeter écrit dans Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942 : « Tous éléments créés par l’initiative capitaliste (…) révolutionnent incessamment l’intérieur de la structure économique en détruisant continuellement des éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme. »
Philippe Aghion, armé de longues études brillantes, va creuser le travail empirique proposé par Schumpeter. Il commence à l’École normale supérieure en section mathématiques avant de poursuivre un doctorat de mathématiques appliquées à l’économie à Paris-Sorbonne puis finalement un PhD, autrement dit un doctorat à Harvard obtenu en 1987. Dès cette année, il propose avec Peter Howitt une première théorie de la croissance endogène en montrant le rôle significatif des entrepreneurs qui recherchent à travers les innovations des rentes de monopole. En effet, les brevets, qui protègent les droits de la propriété intellectuelle, permettent aux entrepreneurs innovateurs d’échapper pour un temps à la concurrence en obtenant un monopole. Ainsi, Philippe Aghion montre que le progrès technique est recherché par les entrepreneurs qui créent alors de la croissance économique. L’État et les différents organismes institutionnels qui mettent en place les structures qui permettent d’accompagner cette volonté d’innovations sont un facteur déterminant de la croissance.
C’est finalement une véritable recette de la croissance économique, synonyme d’emplois nouveaux et de richesse économique, que nous propose Philippe Aghion. Le jury du Nobel d’économie ne s’est pas trompé.
Philippe Herry, professeur de SES au lycée français international de Valencia
Source de l’article :
Lemonde, Le français Philippe Aghion prix Nobel d’économie
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr Philippe Aghion et l’impact des nouvelles technologies sur la croissance économique
Article du National Bureau of Economic Research
https://www.europusa.com Philippe Aghion professeur d’économie à Harvard